Mercredi 8 Novembre 2000

PAU (65) : I Muvrini - Les fleurs, ça sert à rien

 

Votre prochain album, qui sortira en novembre, est un best-off. Quelle est la raison d'être de ce nouvel album?

Nous avons fait 14 albums. Notre public a grandi, s'est élargi ces quatre dernières années. On s'est dit qu'il serait utile de donner une photographie la plus juste de ce qu'on a fait. Il reprend des chansons que le public a légitimé, ce répertoire qui nous a permis de trouver le chemin.

Comment se passe l'échange avec ce public qui couvre maintenant plusieurs générations?

Parmi les petites victoires qu'on a pu remporter, le fait d'avoir un public intergénérationnel en est une. C'est bien de garder ce lien. Il est important que cette musique que l'on dit populaire, qui parle des racines, arrive à embrasser les générations. L'autre aspect, c'est que cette musique, que l'on dit faite par des Corses exclusivement pour des Corses, montre bien que l'on peut parler au monde. C'est d'abord important que cette musique française puisse parler en corse, en breton, en occitan. Cette différence ne doit pas être une distance, mais un prétexte pour nous parler, témoigner et enrichir la palette sonore du monde.

Est-ce que ces langues dites minoritaires, ou en tout cas régionales, restent pour vous un axe revendicatif?

J'ai parlé corse avant de parler français. La plus belle richesse dans ma formation intellectuelle, c'est ce bilinguisme. C'est ce qui m'a facilité l'apprentissage d'autres langues. La première raison pour laquelle j'épouse cette langue au milieu de toutes les langues du monde, c'est ce patrimoine. Il y a 6.000 langues dans le monde, et chaque fois qu'une langue disparaît, c'est l'humanité qui s'appauvrit. Ce sont des bouts d'amour dont chaque fois on se sépare. Le procès qui est fait à ces langues-là est archaïque, et dépassé. Ce n'est pas une preuve de démocratie linguistique. Le multilinguisme est un ferment du monde. Les fleurs ça sert à rien.

Dans quel état d'esprit abordez-vous cette nouvelle tournée internationale? La tournée sera d'abord française, dans toutes les plus grandes salles. On y va avec une mentalité de débutant. C'est l'envie de vouloir convaincre. C'est à la fois très passionnant, et l'on porte avec soi un certain nombre d'incertitudes, cette foi qui fait avancer.

Est-ce l'occasion pour vous d'ouvrir vos textes ou votre sensibilité à d'autres formes d'expressions musicales? Dans chaque ville dans laquelle nous irons, nous ferons une première partie avec un groupe local ou régional. Très souvent, il s'agit de groupes qui ne se sont jamais produits dans une grande salle. On rencontre des gens qui sont un peu sur le même chemin que nous. Quand on fait de la musique, les rencontres ne se préméditent pas. Ça a été le cas avec J. Dutronc, Véronique Sanson ou Cheb Mami.

Quelle est la démarche de ces rencontres par rapport à la langue corse?

Lors de notre passage au Zénith de Pau, on va organiser à l'université de Pau un moment qui s'appelle " Témoin de Corse ", où je m'entretiendrai avec les gens qui sont là, dans un échange: comment un artiste vit son statut, comment en même temps il veut le changer, quelle place il trouve. C'est un témoignage humain et civique que je veux apporter sur une situation assez illisible en Corse.

Quelle est votre position sur le processus qui s'affirme en Corse?

Je suis un citoyen. Le fait que l'on débatte, c'est d'abord le signe que l'on n'a pas assez débattu jusqu'à présent. Le meilleur moyen de sortir des conflits dans le monde, c'est de commencer par le dialogue. J'ai vraiment le sentiment que le dialogue, c'est la méthode. Matignon, pour l'heure, défend plus un processus qu'un véritable contenu, mais je crois qu'il se pourrait bien qu'à la fois la question corse révèle un malaise corse et national: à savoir gérer un fait identitaire dans le cadre de l'Hexagone. En corse, ce n'est pas la République qui est mise en danger, mais une attitude de la République. Ce qui a terriblement fait souffrir la Corse ces dernières années, c'est qu'on s'est assez facilement laissés aller à faire le procès corse, sans faire le procès du cadre, du modèle et de la politique qu'on a mené en corse. Il faut dédiaboliser le peuple corse.

Vous souhaitez être encore plus précis dans votre musique avec votre prochain album. Qu'entendez-vous par là? Un créateur, un chanteur, c'est un chercheur. Il cherche avec sa sensibilité, et ce n'est pas quantifiable. Avec notre sensibilité on essaie de trouver ce qu'il y a de fort en nous. L'écriture de cet album qui sortira au printemps prochain, qui s'appellera " Umani " (Humains), va plus loin que le simple maintien d'un héritage culturel.On veut lui donner un futur. Cette musique doit avoir une sensibilité en mouvement. Ce prochain album est probablement le plus aboutit. Quelque chose d'important est en train de se passer.

Propos recueillis par Pierre MASSIAS.

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