Votre
prochain album, qui sortira en novembre, est un best-off.
Quelle est la raison d'être de ce nouvel album?
Nous
avons fait 14 albums. Notre public a grandi, s'est élargi
ces quatre dernières années. On s'est dit
qu'il serait utile de donner une photographie la plus juste
de ce qu'on a fait. Il reprend des chansons que le public
a légitimé, ce répertoire qui nous
a permis de trouver le chemin.
Comment
se passe l'échange avec ce public qui couvre maintenant
plusieurs générations?
Parmi
les petites victoires qu'on a pu remporter, le fait d'avoir
un public intergénérationnel en est une. C'est
bien de garder ce lien. Il est important que cette musique
que l'on dit populaire, qui parle des racines, arrive à
embrasser les générations. L'autre aspect,
c'est que cette musique, que l'on dit faite par des Corses
exclusivement pour des Corses, montre bien que l'on peut
parler au monde. C'est d'abord important que cette musique
française puisse parler en corse, en breton, en occitan.
Cette différence ne doit pas être une distance,
mais un prétexte pour nous parler, témoigner
et enrichir la palette sonore du monde.
Est-ce
que ces langues dites minoritaires, ou en tout cas régionales,
restent pour vous un axe revendicatif?
J'ai
parlé corse avant de parler français. La plus
belle richesse dans ma formation intellectuelle, c'est ce
bilinguisme. C'est ce qui m'a facilité l'apprentissage
d'autres langues. La première raison pour laquelle
j'épouse cette langue au milieu de toutes les langues
du monde, c'est ce patrimoine. Il y a 6.000 langues dans
le monde, et chaque fois qu'une langue disparaît,
c'est l'humanité qui s'appauvrit. Ce sont des bouts
d'amour dont chaque fois on se sépare. Le procès
qui est fait à ces langues-là est archaïque,
et dépassé. Ce n'est pas une preuve de démocratie
linguistique. Le multilinguisme est un ferment du monde.
Les fleurs ça sert à rien.
Dans
quel état d'esprit abordez-vous cette nouvelle tournée
internationale? La tournée sera d'abord française,
dans toutes les plus grandes salles. On y va avec une mentalité
de débutant. C'est l'envie de vouloir convaincre.
C'est à la fois très passionnant, et l'on
porte avec soi un certain nombre d'incertitudes, cette foi
qui fait avancer.
Est-ce
l'occasion pour vous d'ouvrir vos textes ou votre sensibilité
à d'autres formes d'expressions musicales? Dans chaque
ville dans laquelle nous irons, nous ferons une première
partie avec un groupe local ou régional. Très
souvent, il s'agit de groupes qui ne se sont jamais produits
dans une grande salle. On rencontre des gens qui sont un
peu sur le même chemin que nous. Quand on fait de
la musique, les rencontres ne se préméditent
pas. Ça a été le cas avec J. Dutronc,
Véronique Sanson ou Cheb Mami.
Quelle
est la démarche de ces rencontres par rapport à
la langue corse?
Lors
de notre passage au Zénith de Pau, on va organiser
à l'université de Pau un moment qui s'appelle
" Témoin de Corse ", où je m'entretiendrai
avec les gens qui sont là, dans un échange:
comment un artiste vit son statut, comment en même
temps il veut le changer, quelle place il trouve. C'est
un témoignage humain et civique que je veux apporter
sur une situation assez illisible en Corse.
Quelle
est votre position sur le processus qui s'affirme en Corse?
Je
suis un citoyen. Le fait que l'on débatte, c'est
d'abord le signe que l'on n'a pas assez débattu jusqu'à
présent. Le meilleur moyen de sortir des conflits
dans le monde, c'est de commencer par le dialogue. J'ai
vraiment le sentiment que le dialogue, c'est la méthode.
Matignon, pour l'heure, défend plus un processus
qu'un véritable contenu, mais je crois qu'il se pourrait
bien qu'à la fois la question corse révèle
un malaise corse et national: à savoir gérer
un fait identitaire dans le cadre de l'Hexagone. En corse,
ce n'est pas la République qui est mise en danger,
mais une attitude de la République. Ce qui a terriblement
fait souffrir la Corse ces dernières années,
c'est qu'on s'est assez facilement laissés aller
à faire le procès corse, sans faire le procès
du cadre, du modèle et de la politique qu'on a mené
en corse. Il faut dédiaboliser le peuple corse.
Vous
souhaitez être encore plus précis dans votre
musique avec votre prochain album. Qu'entendez-vous par
là? Un créateur, un chanteur, c'est un chercheur.
Il cherche avec sa sensibilité, et ce n'est pas quantifiable.
Avec notre sensibilité on essaie de trouver ce qu'il
y a de fort en nous. L'écriture de cet album qui
sortira au printemps prochain, qui s'appellera " Umani
" (Humains), va plus loin que le simple maintien d'un
héritage culturel.On veut lui donner un futur. Cette
musique doit avoir une sensibilité en mouvement.
Ce prochain album est probablement le plus aboutit. Quelque
chose d'important est en train de se passer.
Propos
recueillis par Pierre MASSIAS. |