Journal de la Corse - Vendredi 13 avril 2001

Réponses aux questions du "Journal de la Corse"
par Jeannot Magni, Président de l'association
Unione Corsa d'Antibes

1. - Quand vous êtes hors de Corse avez-vous le sentiment d'être déraciné ou trouvez-vous la terre d'accueil agréable à vivre ?

Déraciné, non. Je suis un peu comme les Eoliennes qui font tant parler d'elles en Corse, j'ai la particularité d'avoir des racines et des ailes et puis nous sommes à quarante cinq minute de Bastia, par avion, et quelques heures par le N.G.V. Je vais peut-être vous surprendre : mes loisirs, toutes mes activités sont toujours en rapport avec la Corse et plus encore depuis 1996 date de la création de " L'Unione Corsa " à Antibes. Pourtant, bien que cette ville soit accueillante et agréable à vivre, pour moi l'opportunité de rentrer définitivement au Pays s'offrira le moment venu.

2. - Si vous aviez eu la possibilité de rester en Corse auriez-vous ressenti quand même l'appel du large ?

Oui, certainement par la simple curiosité de voir ce qui se passe par delà la Méditerranée. Il est toujours enrichissant de frotter sa cervelle à celle d'autrui en dehors du contexte familial. La vie est faite de rencontres, d'expériences. Par conséquent, un dépaysement est toujours positif. Pourtant, quand j'ai quitté ma Terre natale, je n'avais pas le choix. L'appel du large était une nécessité. On était loin d'une ballade d'agrément. Il a fallu pâtir pour se faire une situation. J'admets, ne pas avoir eu le courage de rester. Le processus avait hélas commencé bien avant ma génération. Résultat : Le Peuple Corse dans sa grande majorité se promène en dehors de ses frontières naturelles. A qui revient la responsabilité historique d'une telle situation ? Vaste débat…

3. - Vous êtes président d'une des très nombreuses amicales corses de l'Extérieur. Cette amicale est-elle pour vous un soutien moral ? Comme une famille ? Ou tout simplement un divertissement ?

Sans esprit de polémique, nous avons refusé l'appellation " Amicale ". Les amicales corses de l'extérieur existent depuis des décennies. Certaines ont près d'un siècle. Elles font très bien ce qu'elles ont à faire dans la plupart des Villes du Continent. Sauf que nous ne partageons pas les mêmes objectifs. L'Association " L'Unione Corsa " a été créée en 1996. Avec la volonté d'unir tous les Corses pour un travail de fond : Culturel, Identitaire et Social et ce en rapport avec la Corse, en lien direct. Nous avons rejeté d'emblée toute idée de " folklorisation " de la Culture Corse qui malheureusement persiste. Un exemple, nos cartes d'adhésion sont rédigées en Langue Corse. Il s'agit pour nous de sauvegarder, de promouvoir et de défendre ce qui constitue l'essence même de notre Peuple, son Identité. Ce qui est loin d'être un divertissement car cela implique, entre autres, un travail constant par l'enseignement de la Langue de nos ancêtres. Soyons réalistes : " Persu a Lingua, persu u Populu ".

4. - Quelles sont les relations que vous entretenez avec les continentaux ? Les mêmes qu'avec les Corses ou y a-t-il une différence ?

Il ne peut y avoir d'amalgame quant à la philosophie de " L'Unione Corsa " D'Antibes. Si nous défendons avec force et sans complexes nos objectifs culturels et identitaires, la porte de l'Association est ouverte à tous. De nombreux Continentaux y adhérent ; certains suivent depuis des années des cours de langue corse et de chant polyphonique. Il est vrai qu'avec nos Compatriotes le contact est différent. Le fait de parler le Corse entre nous spontanément ou tout simplement de parler de la Corse en général. C'est uniquement dans ce sens que nos rapports peuvent varier avec les Continentaux.

5. - On dit que les amicales de Corses sont une sorte de franc-maçonnerie ? Avez-vous l'impression que l'entraide y est effective et qu'on ne laisse jamais tomber un Compatriote ?

Les relations entre Corses sont déformées depuis des lustres. Par l'influence des médias continentaux. Un exemple : à Paris, pour les Municipales, TIBERI et DOMINATI n'étaient plus considérés comme des alliés politiques mais comme des Corses qui s'acoquinent entre eux. C'est cette image du Corse magouilleur, mafieux, profiteur que l'on véhicule et que l'on entretient. Et çà marche ! ; c'est ainsi que l'on juge les Corses ici sur le Continent. Il ne faut plus se voiler la face, le pilonnage médiatiques dans le domaine de la désinformation en quelques années a porté ses fruit. Peut-être en portons-nous une part de responsabilité quelque part mais on est loin de l'image du Corse paresseux qui faisait sourire en d'autres temps. Pour ce qui est de l'entraide entre Corses, les temps ont changé. Si la solidarité demeure dans l'esprit de chacun d'entre nous à " L'Unione Corsa ", il est difficile aujourd'hui d'intervenir comme par le passé. Les mentalités ont évolué. La précarité et le chômage avec leurs conséquences n'arrangent toujours pas les situations quelques fois les plus simples. Pourtant malgré les difficultés, les Corses de l'Extérieur en général se soutiennent.

6. - Que pensez-vous de la situation politique de la Corse ? Est-elle selon vous préoccupante ou y a-t-il une porte ouverte sur l'espoir ?

J'ouvre une parenthèse pour affirmer que toutes les réponses aux questions à caractère politique n'engagent que ma personne, en aucun cas l'Association. Le premier constat est que les attentats ont cessé ; c'est déjà une porte ouverte sur l'espoir, l'espoir qui est aussi le renouveau politique intervenu lors des dernières élections Municipales. Le résultat global démontre que dorénavant des électeurs sont capables de voter là où ont les attend le moins. C'est cela, la nouveauté du début de ce troisième millénaire. : les prémisses d'une Citoyenneté qui nous a fait tan défaut. C'est surtout une Révolution Culturelle qui nous a agréablement surpris bien entendu… Et puis un grand bravo au 350 femmes élues aux Municipales en Corse. Elles vont créer des surprises et rien ne se jouera plus comme avant.

7. - Pensez-vous que le processus initié par Lionel Jospin ira à son terme ? Le souhaitez-vous ?

Je le souhaite bien sûr. Dans l'immédiat les obstacles sont d'ordre institutionnel. Lionel Jospin le sait très bien. La nomination récente de Pierre Joxe au Conseil Constitutionnel ne résoudra pas pour autant les difficultés. Pourquoi ? Le mécanisme Constitutionnel actuel est simple. L'Article 5 de la Constitution de 1958 dit : " Le Président de la République veille au respect de la Constitution ". Elle ne peut être modifiée que par le Congrès à Versailles. Peut-on imaginer un seul instant que Jacques Chirac puisse se lancer dans une telle opération, à un an des élections Présidentielles ? Mais le processus de Matignon peut aboutir si Lionel Jospin est élu Président de la République avec une majorité Parlementaire pour le soutenir.

8. - Quels sont les problèmes que vous voudriez voir résoudre le plus rapidement possible ?

En Corse, 25000 personnes vivent une situation de précarité inquiétante. Est-il possible, aujourd'hui de vivre au Pays dans la dignité en gagnant décemment sa vie ? Oui, pour quelques uns mais combien seront-ils dans l'obligation de quitter la Corse ? Une vraie politique de l'emploi est indispensable. C'est la priorité des priorités.

9. - Qu'aimeriez-vous que la Corse soit demain ? Moins enfermée sur elle même ? Plus ouverte sur l'Europe, plus autonome ou vraiment indépendante ?

En s'enfermant on fini par étouffer. L'ouverture sur l'Europe est indissociable du développement économique et social. Il suffit de lire le rapport de synthèse de Jean Guy Talamoni pour considérer que l'Europe est un atout considérable pour notre Ile. Quant à l'autonomie, (mot, hautement diabolisé) il suffit de voir autour de nous des Régions et des Iles en Europe qui sont autonomes sans qu'elles soient sur le sentier de guerre avec leur Etats respectifs. Pour ce qui est de l'Indépendance, le Peuple est seul souverain. Nous savons qu'il n'en veut pas et je crois que ceux-là mêmes qui la demandent ne souhaitent pas se risquer à une consultation populaire. Du moins dans l'immédiat .

10. - Pensez-vous que la sinistre prophétie du comte Arrigo Bel Messere (" Corsica non avrai mai bene ! " relève d'un pessimisme endémique ou qu'il faille la prendre au sérieux ?

L'Histoire de la Corse est marquée par des drames. Depuis des siècles rien n'a changé, ni les attitudes, ni les comportements. Chacun dans son camp demeure persuadé d'avoir raison. C'est le règne de l'individualisme. Le passionnel l'emportera toujours sur l'objectivité, surtout en matière d'élection. Et si " Le bonheur est en soi " disait Jean Jacques Rousseau, je m'incline à penser que quelque part nous n'avons pas une volonté collective à vouloir être heureux. Les siècles passés en sont de bien tristes témoins et ce n'est plus une fatalité, les fait sont là… Bien que la prophétie soit toujours d'actualité, j'espère qu'un proche avenir la contredira.

Interview réalisée par Aimé Pietri

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