1.
- Quand vous êtes hors de Corse avez-vous le sentiment
d'être déraciné ou trouvez-vous la
terre d'accueil agréable à vivre ?
Déraciné,
non. Je suis un peu comme les Eoliennes qui font tant
parler d'elles en Corse, j'ai la particularité
d'avoir des racines et des ailes et puis nous sommes à
quarante cinq minute de Bastia, par avion, et quelques
heures par le N.G.V. Je vais peut-être vous surprendre
: mes loisirs, toutes mes activités sont toujours
en rapport avec la Corse et plus encore depuis 1996 date
de la création de " L'Unione Corsa " à Antibes.
Pourtant, bien que cette ville soit accueillante et agréable
à vivre, pour moi l'opportunité de rentrer
définitivement au Pays s'offrira le moment venu.
2. - Si vous
aviez eu la possibilité de rester en Corse auriez-vous
ressenti quand même l'appel du large ?
Oui, certainement
par la simple curiosité de voir ce qui se passe
par delà la Méditerranée. Il est
toujours enrichissant de frotter sa cervelle à
celle d'autrui en dehors du contexte familial. La vie
est faite de rencontres, d'expériences. Par conséquent,
un dépaysement est toujours positif. Pourtant,
quand j'ai quitté ma Terre natale, je n'avais pas
le choix. L'appel du large était une nécessité.
On était loin d'une ballade d'agrément.
Il a fallu pâtir pour se faire une situation. J'admets,
ne pas avoir eu le courage de rester. Le processus avait
hélas commencé bien avant ma génération.
Résultat : Le Peuple Corse dans sa grande majorité
se promène en dehors de ses frontières naturelles.
A qui revient la responsabilité historique d'une
telle situation ? Vaste débat…
3. - Vous êtes
président d'une des très nombreuses amicales
corses de l'Extérieur. Cette amicale est-elle pour
vous un soutien moral ? Comme une famille ? Ou tout simplement
un divertissement ?
Sans esprit de
polémique, nous avons refusé l'appellation
" Amicale ". Les amicales corses de l'extérieur
existent depuis des décennies. Certaines ont près
d'un siècle. Elles font très bien ce qu'elles
ont à faire dans la plupart des Villes du Continent.
Sauf que nous ne partageons pas les mêmes objectifs.
L'Association " L'Unione Corsa " a été créée
en 1996. Avec la volonté d'unir tous les Corses
pour un travail de fond : Culturel, Identitaire et Social
et ce en rapport avec la Corse, en lien direct. Nous avons
rejeté d'emblée toute idée de " folklorisation
" de la Culture Corse qui malheureusement persiste. Un
exemple, nos cartes d'adhésion sont rédigées
en Langue Corse. Il s'agit pour nous de sauvegarder, de
promouvoir et de défendre ce qui constitue l'essence
même de notre Peuple, son Identité. Ce qui
est loin d'être un divertissement car cela implique,
entre autres, un travail constant par l'enseignement de
la Langue de nos ancêtres. Soyons réalistes
: " Persu a Lingua, persu u Populu ".
4. - Quelles
sont les relations que vous entretenez avec les continentaux
? Les mêmes qu'avec les Corses ou y a-t-il une différence
?
Il ne peut y avoir
d'amalgame quant à la philosophie de " L'Unione
Corsa " D'Antibes. Si nous défendons avec force
et sans complexes nos objectifs culturels et identitaires,
la porte de l'Association est ouverte à tous. De
nombreux Continentaux y adhérent ; certains suivent
depuis des années des cours de langue corse et
de chant polyphonique. Il est vrai qu'avec nos Compatriotes
le contact est différent. Le fait de parler le
Corse entre nous spontanément ou tout simplement
de parler de la Corse en général. C'est
uniquement dans ce sens que nos rapports peuvent varier
avec les Continentaux.
5. - On dit
que les amicales de Corses sont une sorte de franc-maçonnerie
? Avez-vous l'impression que l'entraide y est effective
et qu'on ne laisse jamais tomber un Compatriote ?
Les relations
entre Corses sont déformées depuis des lustres.
Par l'influence des médias continentaux. Un exemple
: à Paris, pour les Municipales, TIBERI et DOMINATI
n'étaient plus considérés comme des
alliés politiques mais comme des Corses qui s'acoquinent
entre eux. C'est cette image du Corse magouilleur, mafieux,
profiteur que l'on véhicule et que l'on entretient.
Et çà marche ! ; c'est ainsi que l'on juge
les Corses ici sur le Continent. Il ne faut plus se voiler
la face, le pilonnage médiatiques dans le domaine
de la désinformation en quelques années
a porté ses fruit. Peut-être en portons-nous
une part de responsabilité quelque part mais on
est loin de l'image du Corse paresseux qui faisait sourire
en d'autres temps. Pour ce qui est de l'entraide entre
Corses, les temps ont changé. Si la solidarité
demeure dans l'esprit de chacun d'entre nous à
" L'Unione Corsa ", il est difficile aujourd'hui d'intervenir
comme par le passé. Les mentalités ont évolué.
La précarité et le chômage avec leurs
conséquences n'arrangent toujours pas les situations
quelques fois les plus simples. Pourtant malgré
les difficultés, les Corses de l'Extérieur
en général se soutiennent.
6. - Que pensez-vous
de la situation politique de la Corse ? Est-elle selon
vous préoccupante ou y a-t-il une porte ouverte
sur l'espoir ?
J'ouvre une parenthèse
pour affirmer que toutes les réponses aux questions
à caractère politique n'engagent que ma
personne, en aucun cas l'Association. Le premier constat
est que les attentats ont cessé ; c'est déjà
une porte ouverte sur l'espoir, l'espoir qui est aussi
le renouveau politique intervenu lors des dernières
élections Municipales. Le résultat global
démontre que dorénavant des électeurs
sont capables de voter là où ont les attend
le moins. C'est cela, la nouveauté du début
de ce troisième millénaire. : les prémisses
d'une Citoyenneté qui nous a fait tan défaut.
C'est surtout une Révolution Culturelle qui nous
a agréablement surpris bien entendu… Et puis un
grand bravo au 350 femmes élues aux Municipales
en Corse. Elles vont créer des surprises et rien
ne se jouera plus comme avant.
7. - Pensez-vous
que le processus initié par Lionel Jospin ira à
son terme ? Le souhaitez-vous ?
Je le souhaite
bien sûr. Dans l'immédiat les obstacles sont
d'ordre institutionnel. Lionel Jospin le sait très
bien. La nomination récente de Pierre Joxe au Conseil
Constitutionnel ne résoudra pas pour autant les
difficultés. Pourquoi ? Le mécanisme Constitutionnel
actuel est simple. L'Article 5 de la Constitution de 1958
dit : " Le Président de la République veille
au respect de la Constitution ". Elle ne peut être
modifiée que par le Congrès à Versailles.
Peut-on imaginer un seul instant que Jacques Chirac puisse
se lancer dans une telle opération, à un
an des élections Présidentielles ? Mais
le processus de Matignon peut aboutir si Lionel Jospin
est élu Président de la République
avec une majorité Parlementaire pour le soutenir.
8. - Quels sont
les problèmes que vous voudriez voir résoudre
le plus rapidement possible ?
En Corse, 25000
personnes vivent une situation de précarité
inquiétante. Est-il possible, aujourd'hui de vivre
au Pays dans la dignité en gagnant décemment
sa vie ? Oui, pour quelques uns mais combien seront-ils
dans l'obligation de quitter la Corse ? Une vraie politique
de l'emploi est indispensable. C'est la priorité
des priorités.
9. - Qu'aimeriez-vous
que la Corse soit demain ? Moins enfermée sur elle
même ? Plus ouverte sur l'Europe, plus autonome
ou vraiment indépendante ?
En s'enfermant
on fini par étouffer. L'ouverture sur l'Europe
est indissociable du développement économique
et social. Il suffit de lire le rapport de synthèse
de Jean Guy Talamoni pour considérer que l'Europe
est un atout considérable pour notre Ile. Quant
à l'autonomie, (mot, hautement diabolisé)
il suffit de voir autour de nous des Régions et
des Iles en Europe qui sont autonomes sans qu'elles soient
sur le sentier de guerre avec leur Etats respectifs. Pour
ce qui est de l'Indépendance, le Peuple est seul
souverain. Nous savons qu'il n'en veut pas et je crois
que ceux-là mêmes qui la demandent ne souhaitent
pas se risquer à une consultation populaire. Du
moins dans l'immédiat .
10. - Pensez-vous
que la sinistre prophétie du comte Arrigo Bel Messere
(" Corsica non avrai mai bene ! " relève d'un pessimisme
endémique ou qu'il faille la prendre au sérieux
?
L'Histoire de
la Corse est marquée par des drames. Depuis des
siècles rien n'a changé, ni les attitudes,
ni les comportements. Chacun dans son camp demeure persuadé
d'avoir raison. C'est le règne de l'individualisme.
Le passionnel l'emportera toujours sur l'objectivité,
surtout en matière d'élection. Et si " Le
bonheur est en soi " disait Jean Jacques Rousseau, je
m'incline à penser que quelque part nous n'avons
pas une volonté collective à vouloir être
heureux. Les siècles passés en sont de bien
tristes témoins et ce n'est plus une fatalité,
les fait sont là… Bien que la prophétie
soit toujours d'actualité, j'espère qu'un
proche avenir la contredira.
Interview réalisée par Aimé Pietri |