L'arrêt de la cour d'appel de la Réunion a considéré que les propos de l'article de presse n'etaient pas discriminatoires envers les Corses

M. Hersant a gagné... pour le moment

 

A l'audience publique ordinaire, de la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion. Séant au palais de justice 166, rue Juliette Dodu, du jeudi onze mars mil neuf cent quatre vingt dix-neuf, tenue pour les appels correctionnels.
A été rendu l'arrêt ci-après prononcé par monsieur le Président Thibault - Laurent, Président de chambre, en présence du ministère public M. Baud et du greffier Melle Rassaby.

Entre

Hersant Patrick Philippe né le 24 mars 1957 à Neuilly-Seine (Hauts-de-Seine), fils de Robert et de Duclos Aline, demeurant 84, avenue d' lena - 75016 Paris, marié, de nationalité française, éditeur, prévenu. Ayant pour conseil Maître Gauthier, avocat.
Appelant d'une part :

Et

Monsieur le Procureur de la République près le tribunal de Grande Instance de Saint-Denis.
Appelant d'autre part :

L'affaire a été appelée à l'audience publique de la cour du II février 1999.
Composition de la cour lors des débats
M. Thibault-Laurent, Président de Chambre, Président.
M. Blot et Gros. Conseillers assesseurs
En présence de M. Baud. Substitut général au banc du ministère public,
Et assistés de Melle Rassaby. Agent administratif faisant fonction de greffier en exécution de l'article 812-12 du code de l'organisation judiciaire, serment prêté conformément à l'article 32 du décret n°87-472 du 20 juin 1967.

Ouï

M. Le Président en son rapport,
Maître Gauthier, avocat, en sa plaidoirie pour le prévenu,
Le ministère public en ses réquisitions,
La défense ayant eu la parole en dernier.
Les débats étant terminés. Monsieur le Président a avisé les parties présentes que l'arrêt serait rendu le II mars 1999.
Et le dit jour, la cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu l'arrêt dont la teneur suit.

La Cour

Par actes au greffe en date du 30 novembre 1998. M. Patrick Philippe Hersant, à titre principal, et le ministère public, à titre incident, ont interjeté appel du jugement rendu le 27 novembre 1998 par lequel le tribunal correctionnel de Saint-Denis a :
- Rejeté les exceptions de nullité de procédure tirées de la prescription et de l'irrégularité des citations ;
- déclare M. Patrick Philippe Hersant coupable du délit de diffamation envers un groupe de personnes en raison de leur origine, en l'espèce la Corse ;
- En répression l'a condamné à une peine de 50 000 F d'amende.
- Ordonne la publication du dispositif de sa décision dans le journal de l'île de la Réunion ;
- ordonne la publication du dispositif de sa décision dans le quotidien "la Corse" ;
- dit que le coût de la publication ne devrait pas excéder 10 000 F
- déclare les constitutions de partie civile de MM. Noël Patacchini, Pierre Paul Leccia, Nicolas Peretti, Gérard Luzi. Joseph Antonini, Gilbert Battesti, Jean Etienne Martelli, Louis Nega. Allan Romagnoll, Orso Rossi, Noël Scarbonchi, André Seta, Charles Massoni, Patrick Astier irrecevables ;
- mis hors de cause le journal de l'île de la Réunion

Ces appels interjetés dans les formes et délais de la loi, sont recevables.

M. Patrick Philippe Hersant est prévenu
D'avoir à Saint-Denis, le 11 février 1998, depuis temps non prescrit en sa qualité de directeur de la publication du quotidien " le journal de la Réunion " , publié dans l'édition du 11 février 1998 et sous la rubrique du " courrier des lecteurs ", en page 60, un article intitule "O Corse, île d'amour… " signé Noilapator ", commençant par " les pleureuses sont de retour …et se terminant par... en changeant le nom des morts … " qui comporte les affirmations, allégations et propos suivants contenant imputations de faits.

" Il apparaît même que c'est faire "injure" aux Corses que de penser qu'un Corse aurait pu abattre quelqu'un en lui tirant dans le dos ! En fait tout le monde sait et dit que les Corses , dans leur immense majorité , ne sont que des voleurs et des profiteurs, des racketteurs et des racistes et quand ils ne sont pas directement engagés dans l'action illégale, ils en sont les complices en observant "l'omerta", cette loi du silence que l'on veut nous faire croire inspirée par l'honneur alors qu'elle n'est qu'une manifestation de la trouille, de couardise et du terrorisme …
Ils sucent la nation française et l'Europe en utilisant de vrais faux certificats administratifs, abondamment avalisés par ceux mêmes qui sont chargés d'en vérifier l'authenticité … et ne parlons pas des assassins jamais poursuivis ou en tout cas, jamais condamnés même lorsqu'ils sont pris en flagrant délit. Les Corses sont racistes et ont organisé de façon efficace la préférence régionale … "
Ces affirmations, allégations et propos portant atteinte à l'honneur et à la considération d'un groupe de personnes, diffamés à raison de leur origine, la Corse.
Infraction prévue et réprime par les articles 23, 29 al.1, 32 al.2, 42, 47, 48 de la loi du 29 juillet 1881
Ces poursuites initiées par le ministère public font suite a la plainte déposée le 28 avril 1998 par MM. Noël Patacchini, Pierre Paul Leccia, Nicolas Peretti, Gérard Luzi. Joseph Antonini, Gilbert Battesti, Jean Etienne Martelli, Louis Nega. Allan Romagnoll, Orso Rossi, Noël Scarbonchi, André Seta, Charles Massoni, Patrick Astier.
Le ministère public requiert la confirmation de la décision déférée.
Dans des conclusions déposées le II février 1999 M. Patrick Philippe Hersant, appelant, demande à la cour de :
- Infirmer le jugement déféré en ce qu'il a rejeté les exceptions de nullité de la procédure tirées de la prescription et de l'irrégularité des citations, déclare M.Hersant coupable du délit de diffamation envers un groupe de personnes en raison de leur origine, en l'espèce la Corse, et l'a condamné aux peines, principale et complémentaires sus-exposes :

Statuant à nouveau :
- dire nulles les réquisitions aux fins d'enquête du Procureur de la République pour non-respect des dispositions de l'article 65 alinéa 2 de la loi du 29 juillet 1881, ces réquisitions n'articulant ni ne qualifiant correctement les diffamations à raison desquelles l'enquête est ordonnée ;
- dire nulle la citation délivrée au prévenu pour non-respect des dispositions de l'article 53 de la loi du 29 juillet 1881, cette citation ne précisant ni ne qualifiant correctement le fait incriminé et le texte de loi visé étant erroné :

Subsidiairement, et au fond :
- dire que l'origine visée par l'article 32 alinéa 2 de la loi du 29 juillet 1881 doit s'entendre de l'origine nationale, ethnique, raciale ou religieuse et non de l'origine géographique ou administrative ;
En conséquence, le relaxer des fins de la poursuite.

Sur ce

Sur la prescription de l'action publique et sur la nullité de la citation délivrée au prévenu

Attendu que c'est à juste titre, et par des motifs pertinents, exacts et suffisants, que les premiers juges ont considéré que les réquisitions aux fins d'enquête adressées le 29 avril 1998 par M. Le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Saint-Denis de la Réunion à M. Le directeur départemental de la sécurité publique de Saint-Denis respectait les dispositions de l'article 85.
Alinéa 2 de la loi du 29 juillet 1881, en ce qu'elles articulaient et qualifiaient correctement les diffamations raison desquelles l'enquête était ordonnée, ainsi que les textes prévoyant et réprimant le type d'infraction visée, et étaient interruptives de la prescription prévue par ce même article 65 de la loi du 29 juillet 1881.

Attendu, de même qu'ils ont très exactement juge que la citation délivrée le 29 juin 1998 à M. Hersant comportait les mêmes indications que celles contenues dans les réquisitions aux fins d'enquête, et était conforme aux prescriptions de l'article 53 de la loi précitée, en ce qu'elle fixait clairement les termes du débat ainsi que les faits sur lesquels le prévenu serait se défendre :

Attendu qu'il s'ensuit que la décision déférée sera confirmée en ce qu'elle a rejete exceptions de nullité et a considère que la prescription de l'action publique n'était pas acquise :

Au fond

Attendu que c'est à tort. Et par une inexacte application de la loi aux faits de la cause que les premiers juges, se fondant sur l'examen des travaux préparatoires de la loi n° 72-546 du 1er juillet 1972. Ont estime que les propos litigieux, qui contiennent des allégations de nature a porter atteinte à l'honneur et a la considération d'un groupe de personnes en raison de leur origine, la région corse, entraient dans le champ d'application de l'article 32 de la loi du 29 juillet 1881 modifie par la loi n° 72-546 du 1er juillet 1972 :

Attendu, en effet, que, selon l'article 111-4 du code pénal "la loi pénale est d'interprétation stricte". Ce qui implique que les dispositions pénales ne peuvent entre entendues et doivent entre interprètes respectivement ; que l'origine visée par l'article 32 alinéa 2 de la loi du 29 juillet 1881 doit s'entendre de l'origine nationale, ethnique, raciale ou religieuse et non de l'origine géographique ou administrative du groupe de personnes visé ; que d'ailleurs la cour de Cassation a eu l'occasion de préciser que le racisme visé par l'article 48-1 ( qui ne referme à l'article 32 alinéa 2) de la loi du 29 juillet 1881, en sa rédaction issue de la loi du 1er juillet 1972, s'entend de toute discrimination fondée sur l'origine, l'appartenance ou les non-appartenance, soit à une race, soit à une ethnie, soit à une nation, soit à une religion, sans restriction ni exclusion :

Attendu qu'il est patent qu'il n'existe ni ethnie, ni nation, ni race, ni religion dite "Corse" ; que, dès lors l'article incriminé ne s'inscrit pas dans le champ l'application des pratiques discriminatoires que le législateur a entendu sanctionner dans l'alinéa 2 de l'article 32 de la loi du 29 juillet 1881 ; que M. Patrick Hersant sera en conséquence, renvoyé des fins de la poursuite :

Par ces motifs
La cour, statuant publiquement, contradictoirement en matière correctionnelle, et en dernier ressort,
En la forme
Déclare les appels recevables ;

Au fond

Déclare M. Patrick Philippe Hersant bien fondé en son appel ;En consequence :
Infirme le jugement déféré; et statuant à nouveau:
Renvoie M. Patrick Philippe Hersant des fins de la poursuite ;
Laisse les dépend à la charge du trésor public ;
Lecture donnée par le Président la minute du présent arrêt a été signé par le Président et le greffier.

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